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Par Chloé Bernazzani.
Direction Toulouse. Un emplacement atteint suite à une série de déplacements provoqués par des mouvements politiques en Espagne. Ainsi, grandir par là, en France, au tout début des années 50. Il y a un désir de danser qui se confirme par un enchaînement d’études – de Toulouse, à Strasbourg puis à Mudra (Bruxelles) Maurice Béjart, Alfons Goris et Fernand Schirren … dans lequel se manifestent déjà des rencontres : les étudiants acteurs du Théâtre National de Strasbourg. Une volonté qui s’affirme avec le groupe Chandra puis au Ballet du XXème siècle. Le travail de création s’amorce aux côtés de Daniel Ambash, et les concours de Nyon et de Bagnolet (1978) viennent appuyer cet élan.
Faire à plusieurs.
De 1980 à 1990, portée par la confiance de l’équipe de la Maison des arts de Créteil, la recherche se poursuit avec Christiane Glik, Luna Bloomfield, Mychel Lecoq et la complicité de Montserrat Casanova. Une troupe se constitue renforcée par Cathy Polo, Françoise Leick, Ulises Alvarez, Teresa Cunha, et bien d’autres encore. Chercher toujours, avec une composante, une compagnie qui deviendra en 1985 le Centre chorégraphique national de Créteil et du Val-de-Marne. Une tentative de travailler à plusieurs et pouvoir en vivre, soutenue par une intense diffusion de par le monde. En 1987, la rencontre avec Denis Mariotte amorce une collaboration décisive qui ouvre le champ des expériences. Les points de vue commencent à se décaler et se prolongent de manière à approfondir un questionnement mutuel, un entretien à bâtons rompus sans cesse en mutations et contradictions hors des cadres d’un champ artistique spécifique. Après de nombreuses pièces nées de cette réflexion, ce dialogue prendra, en 2004, la forme d’un duo intitulé « Ça quand même ».
1998, une nouvelle implantation : un nouveau territoire pour un nouveau Centre chorégraphique national à Rillieux-la-Pape, dans le quartier de la Velette. Avec la nécessité de reprendre place dans l’espace public. Un croisement de présences qui agit dans un espace commun : Un “nous, en temps et lieu”. Ainsi chercher en ce lieu la distance nécessaire pour renforcer notre capacité à faire surgir « ces forces diagonales résistantes à l’oubli » (H. Arendt). Le travail se poursuit dans une pluralité de territoires – du Studio, au quartier de la Velette, aux villes partenaires, jusqu’aux villes d’autres pays. Un travail où s’entremêlent des créations, des interventions multiples où l’exigence artistique ouvre des pistes qui dépassent le désir convivial immédiat d’un être ensemble.
Avec l’arrivée en 2006 d’un nouveau bâtiment – pour le CCN de Rillieux-la-Pape. Un lieu à habiter et à cohabiter, un laboratoire citoyen qu’est l’art de la scène destiné aux regards de la cité pour qu’ait lieu le geste d’une poétique publique. Faire que se fabrique et s’exprime par l’adresse publique, de lieux en lieux, de villes en villes, de pays en pays, la part d’existence que l’art nous renvoie. Et par-delà ces multiples endroits, partager les moyens, les outils, les expériences et les actions. Croiser les champs artistiques, créer, soutenir des recherches, ancrer des actes artistiques dans divers espaces de vie sociale, des écoles aux théâtres, des centres d’art aux centres sociaux, des espaces publics aux habitations ouvertes, des lieux de recherches aux maisons de quartier en faisant vivre le geste artistique comme puissance poétique du faire et du refaire les mondes.
L’année 2011 sera celle d’une remise en chantier des modalités dans lesquelles s’effectuent la réflexion et le travail de la compagnie. Après l’intensité de ces années passées au CCN de Rillieux-la Pape, s’ouvre la nécessité d’une nouvelle étape en reprenant une activité de compagnie indépendante. Cette décision importante répond au désir toujours très vivant et impératif d’expérimenter autrement l’enjeu que présente l’acte de création, comme un potentiel capable de prolonger sous d’autres formes ce qui en est le cœur…
Faire – défaire – refaire.
… Après un passage de 3 années à Toulouse, ville qui accueillera pour un court temps cette nouvelle aventure, sans répondre favorablement au besoin impérieux d’un espace de travail pérenne pour une compagnie permanente, l’idée d’une installation à ramdam, une ancienne menuiserie acquise en 1995 grâce aux droits d’auteur à Sainte-Foy-lès-Lyon a pris corps. Ce lieu est activé depuis 17 ans par une association qui propose aux artistes des résidences, de la formation et des ouvertures publiques. Ce projet actif et pérenne est actuellement soutenu par la Région Rhône Alpes, l’Etat et la ville de Sainte-Foy-lès-Lyon.
L’installation de la compagnie dans ce lieu en 2015 permettra de continuer à ouvrir l’espace immatériel d’un commun qui cherche obstinément à s’exercer et enclenchera le déploiement d’un nouveau projet ambitieux en coopération avec l’actuelle équipe : ramdam, un centre d’art.
La course de la vie.
Un parcours artistique comme une « aventure de lignes”. Comme une fugue à chaque création reprise et transformée : sinueuse, une ligne de mélodie traverse vingt lignes de stratifications.
Maguy Marin, l’obstination de la fugue.
Par Sabine Prokoris.
“Ce mot de Henri Michaux sur la peinture si musicale de Paul Klee pourrait aussi bien décrire le cheminement, en aucun cas rectiligne, de Maguy Marin, chorégraphe dont le travail se déploie, depuis près de trente-cinq ans, comme un entrelacs toujours en mouvement de formes multiples qui se composent, puis se décomposent pour frayer passage encore et encore à ce qui insiste et pulse, toujours vivace dans son art : une urgence jamais éteinte, celle d’imaginer les points de fuite – c’est d’ailleurs le titre de l’une de ses pièces, créée en 2001 en étroite collaboration avec Denis Mariotte –, par lesquels pourront s’inventer et se relier entre eux des regards non résignés sur le chaos du monde. Chorégraphe, cela veut dire pour Maguy Marin une chose très précise, au-delà des catégories convenues qui pré- tendent assigner chaque art à sa place : « Je pars toujours du corps et de son mouvement rythmique dans l’espace. Je suis donc chorégraphe », explique t-elle, lorsqu’on la questionne sur les formes qu’ont prises, depuis quelques années, ses pièces, dans lesquels d’aucuns ont parfois du mal à identifier « la danse » – mais c’était déjà le cas en 1981 pour May B, considéré aujourd’hui comme un « classique » de la danse contemporaine.”
Focus : May B.
« Être là, sans l’avoir décidé, entre ce moment où l’on naît, où l’on meurt. Ce moment que l’on remplit de choses futiles auxquelles on voue de l’importance. Absurdité bouleversante. Ce moment qui nous met dans l’obligation de trouver une entente quelconque avec plusieurs autres, en attendant de mourir .» Maguy Marin.
Le visage couvert de craie, une horde de danseurs uniformes et hagards, surgie d’un autre temps, semble s’arracher à la poussière pour évoquer la genèse de l’humanité. Portée par un élan dyonisiaque libérateur, la pièce mythique de Maguy Marin est un hommage aux personnages absurdes et fébriles de Samuel Beckett. Les danseurs, au coeur de leur aura et de leur gestuelle, explorent la part désirante, fragile et hésitante des corps, et interrogent jusqu’à l’extrême la théâtralité du mouvement.
Oeuvre fondamentale de la danse contemporaine, créée en 1981 et jouée des centaines de fois depuis, May B a gardé toute sa force et sa beauté convulsive. « Ce travail dont la gestuelle et l’atmosphère théâtrale sont en contradiction avec la performance physique et esthétique du danseur, a été pour nous la base d’un déchiffrage secret de nos gestes les plus intimes, les plus cachés, les plus ignorés. Arriver à déceler ces gestes minuscules ou grandioses, de multitudes de vies à peine perceptibles, banales, où l’attente et l’immobilité « pas tout à fait » immobile laissent un vide, un rien immense, une plage de silences pleins d’hésitations. »
Porté par la réplique mythique et réitérée de Fin de partie : « Fini, c’est fini, ça va finir, ça va peut-être finir », le spectacle met en scène une humanité qui lutte contre et se rassure dans le quotidien, qui déplore mais s’accommode d’un corps empêtré et vieillissant, qui dépérit mais persiste à vouloir, coûte que coûte, faire jaillir la grâce et la beauté des gestes même les plus anodins.
Joué plus de 600 fois dans le monde entier, May B est aujourd’hui reconnu et adoubé comme un chef d’œuvre. Lugubre et lumineux, ce ballet réussit le coup de force de peindre à la fois le crépuscule et l’aube du genre humain, sa finitude inéluctable et le génie qu’il déploie pour la transcender.
Ballet créé en 1981 par la chorégraphe française Maguy Marin Pièce pour 10 interprètes, 5 hommes et 5 femmes, May B est née de sa lecture des œuvres de Samuel Beckett, suivie de sa rencontre – tout autant fondamentale et bouleversante avec le dramaturge irlandais en 1980.
Arborant un visage crayeux et des nippes d’un blanc douteux, les danseurs -clowns tragiques et poussiéreux, clochards renfrognés et loqueteux, aliénés émaciés ou rembourrés – arpentent et frottent et explorent le plateau en s’efforçant de surnager au sein du groupe sans pour autant le faire imploser.