Jérémy Loup-Quer, Premier danseur au Ballet de l’Opéra national de Paris.

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Propos recueillis et portrait par Nicolas Villodre.

Lorsque nous avons rencontré Jérémy-Loup Quer, Premier danseur de l’Opéra national de Paris, celui-ci sortait d’une répétition à Bastille du Songe d’une Nuit d’été, dans la chorégraphie de George Balanchine, à cinq jours de la première. Il y incarne Obéron, le roi des elfes.

© Yonathan Kellerman

Enfant de la balle.

Jérémy-Loup Quer s’est présenté à nous simplement, en tenue estivale et décontractée. Il nous a confirmé son origine bretonne par son père, Jonathan Kerr – alias Georges Quer –, provenant de Saint-Malo, chanteur, acteur, compositeur, metteur en scène, dramaturge (il participa à la comédie musicale Mayflower, puis au spectacle à l’Olympia de la troupe de Michel Fugain le Big Bazar, sortit plusieurs disques chez Pathé-Marconi, chez Emi et chez  Carrère, se tourna ensuite résolument vers le théâtre et le théâtre musical, obtint le premier rôle de la version de Cabaret de Jérôme Savary, etc., écrivit un drame musical, Camille C, qui remporta un Molière, fonda sa compagnie Le Bateleur théâtre, on en passe et des meilleurs…). La mère de Jérémy-Loup Quer, Bénédicte Charpiat, danseuse, chorégraphe, comédienne, chanteuse, décoratrice participa au Cabaret de Jérôme Savary où, d’ailleurs, elle rencontra le papa de Jérémy-Loup, tourna au cinéma avec Étienne Chatilliez, Diane Kurys, Anne Fontaine, etc., fut accessoiriste pour le film L’Écume des jours de Michel Gondry…), et vient de la Haute Marne. Le Malouin et la Haute Marnaise conçurent Jérémy-Loup pendant la gestation d’un spectacle, « ÉTERNEL TANGO » et c’est sûrement de ce spectacle qu’est née la vocation de leur fils.

Car très tôt oui, ses parents décelèrent chez lui des « caractéristiques d’écoute et de rythme »  incroyables et un sens inné du geste musical. Ils l’incitèrent donc à se tourner vers la danse.

Tout d’abord, à la Ménagerie de verre, vers six ans, dont la fondatrice, Marie-Thérèse Allier, personnage haut en couleur, nous a quittés fin mars dernier. Il suivit ensuite un cursus Sport-étude et passa l’examen d’entrée dans un CNR en danse contemporaine. La prof de classique conseilla aux parents de le préparer au concours d’entrée à l’école de danse de l’Opéra et son destin fut scellé ce jour-là.

Jérémy-Loup Quer intègra donc l’école de l’Opéra à l’âge de dix ans. Les artistes qu’il admirait à ce moment-là étaient surtout des danseurs de claquettes, à commencer par Gene Kelly et Fred Astaire (la famille Quer, vous l’avez compris, est dingue de comédies musicales) mais il découvrit en même temps Mikhaïl Baryshnikov et Gregory Hines pour leur prestation dans le film Soleil de nuit (1985) de Taylor Hackford que l’adolescent a vu de nombreuses fois. Mikhaïl Baryshnikov, voilà bien un modèle. Parmi les autres films l’ayant marqué au même moment, il cite aussi volontiers Billy Elliot (2000) de Stephen Daldry.

De Nanterre à Varna.

Sélectionné à l’école de danse de l’Opéra en 2004, Jérémy-Loup Quer garde plutôt de très bons souvenirs de l’époque de Nanterre. L’école de danse, dirigée par Élisabeth Platel (ex-danseuse étoile et médaille d’argent à Varna) avait un budget vitres considérable, les petits voyous du neuf-deux jouant volontiers du lance-pierres sur une des façades des chambrées dont les occupants devaient fermer les volets. Jérémy-Loup, à cette époque-là, ne voyait pas encore les difficultés de sa discipline. Peut-être avait-il, comme Billy Elliot, un pied encore dehors alors que pourtant il était bien dedans. Tant et si bien qu’il dû redoubler une classe. Il reconnaît après coup que son comportement était « plutôt rebelle ». Impressionné par cette décision qui le reléguait avec de plus jeunes, l’adolescent se mit alors à travailler d’arrache-pied (mais pour un danseur…). Éric Camillo, professeur à l’école de danse (de la « 2e division garçons ») le soutint efficacement à ce moment crucial entre l’adolescence et la jeunesse et Jérémy-Loup intégra finalement le Corps de ballet de l’Opéra.

Hugo Marchand, un de ses coreligionnaires à Nanterre, relate plaisamment dans son livre sobrement intitulé Danser l’épisode du concours de Varna, où avaient triomphé Patrick Dupond et Sylvie Guillem, qui représentait « les jeux olympiques de la danse », que Jérémy-Loup passa avec lui et avec Philippe Solano en 2014. Dans cette station balnéaire bulgare, comme à Moscou, écrit Hugo Marchand, « les spectateurs connaissent les variations classiques par cœur (…). L’applaudimètre est infaillible. » Il faut, selon lui, « se vendre au premier tour, sans non plus placer ses meilleures variations, aller crescendo. » Jérémy-Loup Quer postula en couple avec Hannah O’Neill, une danseuse moitié japonaise, moitié néozélandaise, avec laquelle il enchaîna sur quinze jours cinq pas de deux différents, trois classiques et deux contemporains : le Grand Pas d’Auber, des extraits de Giselle, de Don Quichotte, de la pièce Genius de Wayne McGregor, puis un morceau créé spécialement pour eux par Nicolas Paul, que tous deux reprirent ensuite à la FIAC, au Petit Palais. Le jury de Varna était présidé par le grand danseur russe Vladimir Vassiliev qui, du reste, leur remit les médailles. La médaille d’or ne fut pas décernée cette année-là, les concurrents n’ayant pas obtenu suffisamment de points. Un danseur coréen remporta la médaille d’argent et les Français eurent le bronze. Varna a depuis fait faillite, apparemment. Les danseurs issus de Nanterre l’avaient fait parce qu’ils voulaient travailler et pas vraiment pour la recherche du prestige d’autrefois. La fine équipe a « bien galéré », la nourriture n’était pas très bonne (les menus étaient « truffés de feuilles de brick, de soupe de tripes, de choux fourrés de viande hachée et de riz (…). Nous finissions par nous nourrir de barres chocolatées », note Hugo Marchand dans son livre), les conditions de travail étaient rudes (la compétition se déroulait en juillet, dès l’après-midi, en pleine canicule, dans un théâtre de verdure, sur un plancher en bois renfermant des pièges partout. Dès qu’il pleuvait, la scène était flambée pour sécher plus vite. Le danseur risquait l’insolation en répétant La Sylphide au milieu de la journée en plein cagnard avec, comme il se doit, kilt en laine et chaussettes jusqu’aux genoux, résume encore Marchand), le stress était permanent, les Français étaient arrivés en retard, la saison ne leur ayant pas permis de partir plus tôt…

Mais Jérémy-Loup Quer repartit avec sa médaille de bronze.

En haut de l’affiche.

Pour ce qui est des danseuses, Jérémy-Loup Quer est récemment tombé sous le charme de la Roumaine Alina Cojocaru, étoile du Royal Ballet, qu’il a trouvée admirable dans Giselle. Il juge « bluffants » des danseurs dans la compagnie de l’Opéra, tels que Mathias Heymann et Laëtitia Pujol. Pour ce qui est de la danse elle-même, il est fasciné par certaines pièces contemporaines, par des ambiances, des univers comme celui créé par le petit-fils de Chaplin, James Thierrée – nous pouvons le comprendre, nous qui avons vu également le travail extraordinaire des parents de celui-ci, Victoria Chaplin et Jean-Baptiste Thierrée. Il apprécie des chorégraphes comme l’Israélien Hofesh Shechter et la Canadienne Crystal Pyte, dont des œuvres ont été données à Paris (il a été touché notamment par Betroffenheit, de cette dernière) ou encore Ohad Naharin, le directeur de la compagnie Batscheva, créateur de la Gaga danse. Jérémy-Loup Quer aime que ce soit très bien dansé, intéressant et intelligent. L’expérience acquise lui a permis de s’apercevoir qu’il « a toujours voulu danser Giselle ». Il a eu la chance d’interpréter Albrecht non à l’Opéra de Paris mais à celui de Kiev. Ce souvenir lui revient avec émotion. Il a aimé être Lenski dans Onéguine de John Cranko, un personnage selon lui « absolument magnifique ». Il a tenu celui de Solor, récemment, dans La Bayadère, « un rôle mythique, ce qui était, pour lui, assez fou ». Il a eu beaucoup de rôles de composition, certains à danser, d’autres aussi « à jouer ». Il se faisait une joie de danser Quasimodo dans Notre-Dame de Paris de Roland Petit, un ballet reporté l’an dernier. Il a adoré travailler Abderakhman dans Raymonda. La spécialiste de la danse Agnès Izrine, à l’issue d’une des prestations de Jérémy-Loup Quer, a parlé de sa « musicalité » et souligné son côté « sombre ». D’autres l’ont trouvé tout en maitrise dans « Solor ».

Jérémy-Loup Quer se dit ouvert à la modernité et cite volontiers des chorégraphes comme Anne Teresa De Keersmaeker. Tandis que le danseur étoile Stéphane Bullion vient de prendre sa retraite, François Alu, qui est de la même génération que Quer, a récemment été promu étoile.

Nous pouvons supposer que cette nomination donne à Jérémy-Loup des idées et de l’espoir…

A noter : Les parents de Jérémy-Loup seront tous les deux réunis dans une œuvre commune au festival d’AVIGNON 2022 : « BELLES DE NUIT », qui est, bien sûr, du théâtre musical.

Merci à Jérémy-Loup Quer pour sa disponibilité et à Jonathan Kerr pour ses précieux conseils et son aide.

Jérémy Loup-Quer, principal dancer with Paris National Opera Ballet.

When we met Jérémy-Loup Quer, principal dancer with Paris National Opera, he was leaving a rehearsal at Bastille of the George Balanchine-choreographed A Midsummer Night’s Dream five days before the premiere. He is playing Oberon, king of the fairies.

A born performer.

Jérémy-Loup Quer appeared for our interview with no fanfare, in relaxed summer clothes. He confirmed his Breton heritage through his father Jonathan Kerr — alias Georges Quer — from Saint-Malo, a singer, actor, composer, director and playwright (he was part of the musical Mayflower then the Olympia show by Michel Fugain’s troupe Big Bazar, released several records on Pathé-Marconi, Emi and Carrère, then made the permanent move into theatre and musical theatre, won the lead role in Jérôme Savary’s version of Cabaret, etc., wrote a musical drama, Camille C, which won a Molière, founded his company Le Bateleur Théâtre, and so much more…). Jérémy-Loup Quer’s mother Bénédicte Charpiat, a dancer, choreographer, actor, singer and decorator, was part of Jérôme Savary’s Cabaret, where she happened to meet Jérémy-Loup’s father, made movies with Étienne Chatilliez, Diane Kurys, Anne Fontaine, etc., was props master for the Michel Gondry film Mood Indigo…) and comes from Haute-Marne. The two conceived Jérémy-Loup during the development of ETERNAL TANGO, and it must be that show that sparked their son’s vocation.

Yes, his parents spotted his incredible “listening skills and rhythm” and innate sense of music very early. They then encouraged him to try dance.

First, around the age of six at Ménagerie de Verre, whose founder Marie-Thérèse Allier, a colourful character, left us at the end of March. He then joined an athletic scholarship programme and applied to study contemporary dance at a local conservatoire. The classical dance teacher advised his parents to have him sit the entrance exam for the Paris Opera dance school and his fate was sealed.

Jérémy-Loup Quer joined the Opera school aged ten. The artists he admired at that time were mainly tap dancers, starting with Gene Kelly and Fred Astaire (the Quer family, you guessed it, is crazy about musicals), but he also discovered Mikhail Baryshnikov and Gregory Hines through their performance in the Taylor Hackford film White Nights (1985), which the teen saw countless times. Mikhail Baryshnikov is quite a model. Amongst the other films to make an impression during the same period, he is quick to name Stephen Daldry’s Billy Elliot (2000).

From Nanterre to Varna.

Jérémy-Loup Quer was selected by the Opera dance school in 2004 and has some great memories of his time at Nanterre. The dance school led by Elisabeth Platel (ex-prima ballerina and silver medallist at Varna) had a big replacement window budget as local thugs would have fun playing slingshot against one of the blocks, forcing the occupants to close the shutters. At that time, Jérémy-Loup had yet to grasp the challenges of his discipline. Perhaps, like Billy Elliot, he still had one foot outside the door when he was actually an insider. So much so that he had to repeat a class. He now admits that his behaviour was “pretty rebellious.” Badly affected by the decision to place him with younger students, the teen began to work flat out (as much as a dancer can…). Éric Camillo, a teacher at the dance school (of the ‘boys second division’), supported him well during the crucial transition from adolescence to adulthood and Jérémy-Loup finally joined the Opera’s corps de ballet.

In his dryly titled book Dancer, Hugo Marchand, one of his fellow students at Nanterre, wittily tells the story of the Varna competition, ‘the Olympics of dance’, where Patrick Dupond and Sylvie Guillem triumphed and which Jérémy-Loup entered with him and Philippe Solano in 2014. In this Bulgarian seaside resort, as in Moscow, writes Hugo Marchand, “the audience knows the classical variations by heart (…). The clap-o-metre never fails.” The tactic, according to him, was to “sell yourself in the first round but without giving away your best variations, reaching a crescendo.” Jérémy-Loup Quer competed with Hannah O’Neill, a half Japanese/half New Zealand dancer with whom he delivered five different pas de deux over a fortnight, three classical and two contemporary: Auber’s Grand Pas, excerpts from GiselleDon Quixote and Wayne McGregor’s piece Genius, then a sequence specially created for them by Nicolas Paul, which they repeated at FIAC at the Petit Palais. The Varna jury was chaired by the great Russian dancer Vladimir Vasiliev, who also presented the medals. The gold medal was not awarded that year as the entrants failed to secure enough points. A Korean dancer won silver and the French picked up bronze. Varna has since gone downhill, apparently. The Nanterre dancers did it because they wanted to work more than in hope of benefiting from its former prestige. The merry gang “really struggled”: the food was not very good (the menus were “packed with pastry, tripe stew, cabbage stuffed with mince and rice (…). We ended up living on chocolate bars,” notes Hugo Marchand in his book), the working conditions were tough (the competition was held in the afternoons in July, in the midst of a heatwave, in a leafy green theatre and on wooden boards filled with traps. Whenever it rained, the stage was set alight to dry more quickly. The dancer risked sunstroke rehearsing La Sylphide in the blazing midday sun wearing, as the role demands, a wool kilt and knee-high socks, summarizes Marchand), the pressure was unrelenting and the French arrived late, the season having prevented them from leaving earlier…

But Jérémy-Loup Quer left with his bronze medal.

Top of the bill.

When it comes to dancers, Jérémy-Loup Quer recently fell under the spell of the Romanian Alina Cojocaru, Royal Ballet prima ballerina, who he admired in Giselle. He calls dancers in the Opera company, such as Mathias Heymann and Laëtitia Pujol, “impressive.” As for dance itself, he is fascinated by certain contemporary pieces, by atmospheres and settings like those created by Chaplin’s grandson James Thierrée — having also seen the extraordinary work of his parents Victoria Chaplin and Jean-Baptiste Thierrée, we can understand that. He values choreographers like the Israeli Hofesh Shechter and the Canadian Crystal Pyte, whose works have been performed in Paris (he was particularly moved by the latter’s Betroffenheit) as well as Ohad Naharin, director of the company Batsheva, creator of the Gaga dance. Jérémy-Loup Quer likes it to be very well danced, interesting and intelligent. Experience made him realize that he has “always wanted to dance Giselle.” He had the chance to perform Albrecht not at the Opera in Paris but in Kyiv. The emotion comes roaring back to him. He enjoyed being Lenski in John Cranko’s Onegin, a character he describes as “absolutely glorious.” He recently played Solor in La Bayadère, “a legendary role” that was, for him, “pretty crazy.” He has had many character parts, some to dance but others “to act” too. He enjoyed dancing Quasimodo in Roland Petit’s Notre-Dame de Paris, a ballet postponed last year. He loved working on Abdurakhman in Raymonda. Following one of Jérémy-Loup Quer’s performances, the dance specialist Agnès Izrine noted his “musicality” and emphasized his “dark side.” Others found him well controlled as Solor.

Jérémy-Loup Quer says that he is open to modernity and readily cites choreographers like Anne Teresa De Keersmaeker. Whilst the primo ballerino Stéphane Bullion has just retired, François Alu, who is of the same generation as Quer, has recently been promoted to étoile.

We can suppose that the appointment motivates and inspires Jérémy-Loup…

NB: Jérémy-Loup’s parents will reunite for a joint performance at the 2022 AVIGNON Festival: BELLES DE NUIT, which is, of course, musical theatre.

Thanks to Jérémy-Loup Quer for his time and Jonathan Kerr for his invaluable advice and assistance.