Le Ballet national de Lyon au service de William Forsythe.

English below.

Par Amelie Blaustein Niddam.

Au théâtre national de Chaillot jusqu’au 10 juin, les danseurs et les danseuses du célèbre Ballet de Lyon offrent un programme double composé d’une pièce de Fabrice Mazliah et de deux de William Forsythe. Une soirée qui prouve une nouvelle fois la toute puissance de l’américain sur la danse néo-classique. 

Sheela Na Gig : donner de la voix au féminisme.

Fabrice Mazliah a été interprète pour William Forsythe alors que ce dernier dirigeait le Ballet de Francfort. Il connaît donc par cœur sa grammaire si particulière. L’écriture de Forsythe est arithmétique. Elle vient essorer le mouvement pour le laisser vivre après lui. Souvent chez Forsythe les gestes sont étranges. Isolés ils seraient laids – cependant, accordés par son génie, ils touchent au sublime.

Dès les premières secondes nous voyons bien que Fabrice Mazliah est à la recherche de cette danse entre néo-classique et contemporain.

Là où Sheela Na Gig apporte son grain à l’édifice c’est par son utilisation de la voix.

Les cinq interprètes vont être tout du long la seule bande son de la pièce. Marie Albert Abril Diaz, Katrien de Bakker, Elsa Monguillot-De-Mirman, Lore Pryszo et Merel Van Heeswijk chantent de concert “Moi je me balance” de Barbara. S’en suivront nombre de chansons qui ont parlé du corps des femmes, jusqu’à “Mon Amie la rose” dans la version sous-entendue de Natacha Atlas

Écrasées par un grand tapis rouge qui grimpe tout le long du mur, elles usent de leurs angles pour avancer. La posture est animale ou malade, elles crispent les corps pour les empêcher de se lever. Au fur et à mesure, elles trouveront le bon rythme, en se tenant par les bras, assises dans un délicieux balancé.

La pièce offre de beaux moments dans son rapport voix / corps mais peine à décoller, en témoigne une fin abrupte qui arrive comme un cheveux sur la soupe.

Quintett, bonjour tristesse.

Peut être que Quintett est la plus belle pièce deWilliam Forsythe. Elle a été donnée pour la première fois le 9 octobre 1993. Elle était alors dansée par le Ballett Frankfurt à l’ Operahouse de Frankfurt en Allemagne. Il a ecrit ce chef d’oeuvre en hommage à sa femme qui était alors mourrante. Il y a donc 19 ans.

En voyant danser Caelyn Knight, Maeva Lassere, Giacomo Luci, Tyler Galster et Raúl Serrano Núñez ce soir, il y avait la sensation qu’elle était là, et avec elle tous les fantômes portés par chacun et chacune. 

Quintett est évidemment un… quintet, ça vous l’aviez deviné ! Mais ces cinq-là se croisent plus qu’ils ne voient. Quatre danseurs attendent au début qu’un autre sorte d’une trappe qui a tout d’une tombe. 

L’iconique Jesus’ Blood Never Failed Me Yet” de Gavin  Bryars s’entend dans son intégralité, soit une boucle faite de ces mots pendant 26 minutes.  La voix de ce clochard céleste semble être le levier de ces pas de deux amenés en contrepoints permanents. 

Quintett, au-delà de l’émotion qu’elle suscite, est la pièce idéale pour comprendre le structuralisme de Forsythe où les équilibres font alliance avec les déséquilibres. 

C’est un flux permanent qui s’efface quand la vie passe. Quand le rideau tombe, les mémoires des corps restent. Particulièrement ceux des filles, Caelyn Knight et Maeva Lassere, respectivement en rose et orange. Elles brillent dans d’impossibles portés qui commencent sous les cuisses pour se finir de côté, comme des enfants qui se chamaillent, qui rient encore finalement… mais plus comme par le passé.

One Flat Thing, reproduced”, Forsythe on the edge.

Alors comment passer après ça ? Et bien avec une fantaisie deWilliam Forsythe ! Nous sommes autant dans les Temps Modernes que dans Play time pour cette pièce qui annonce le programme : “une chose plate, reproduite”. En l’occurrence, une dizaine de tables blanches toutes identiques.

Kristina Bentz, Abril Diaz, Merel Van Heeswijk Katrien De Bakker, Elsa Monguillot-De-Mirman, Maeva Lassere, Alvaro Dule, Albert Nikolli Edi Blloshmi, Marco Merenda, Raúl Serrano Núñez, Yan Leiva, Samuel Francis Pereira et  Giacomo Luci vont s’elancer, par deux, par trois, par six puis tous ensemble sur ces tables, sous ces tables, entre ces tables. C’est délirant !

L’exercice de style est flamboyant, et là encore, la structure est reine dans cette pièce avec agrès créée plus récemment, en 2000. Grâce à ces supports, les danseurs et les danseuses peuvent aller plus loin, prendre de l’élan, faire levier les uns pour les autres. Le tout au son de la musique métallique de  Thom Willems .

C’est un shoot d’adrénaline total. Seize minutes sèches, sans aucun temps mort, qui amusent autant qu’elles éblouissent.

Une nouvelle fois le corps de ce ballet montre à quel point il est brillant dans les partitions contemporaines, par essence si peu confortables pour ces danseurs et danseuses formé.e.s aux codes du classique.

Photographie © Agathe Poupeney.

Lyon National Ballet performs William Forsythe.

At Théâtre National de Chaillot until 10 June, the dancers of the famous Lyon Ballet are performing a double bill featuring one piece by Fabrice Mazliah and two by William Forsythe. The evening again highlights the American’s dominance in neoclassical dance.

Sheela Na Gig: giving a voice to feminism.

Fabrice Mazliah danced for William Forsythe when the latter led Frankfurt Ballet. Therefore, he knows his unique vocabulary by heart. Forsythe’s writing is mathematical. It draws everything out of the movement to prolong its effects. Often with Forsythe, the gestures are strange. In isolation, they would be ugly — but connected by his genius, they border on the sublime.

From the first few seconds, we can clearly see that Fabrice Mazliah is striving for dance that straddles neoclassical and contemporary.

What Sheela Na Gig contributes is the use of the voice.

The five performers are the piece’s only soundtrack.Marie Albert Abril Diaz, Katrien de Bakker, Elsa Monguillot-De-Mirman, Lore Pryszo and Merel Van Heeswijk sing Barbara’s ‘Moi je me balance’ together. It’s followed by several songs about women’s bodies until ‘Mon amie la rose’ in the understated version by Natacha Atlas.

Crushed by a large red carpet that creeps along the wall, they use their angles to move forward. The posture is animal or anxious as they tense their bodies to stop them standing. Gradually, they find the right pace, holding each other by the arms, sitting in a delightful balancé.

The piece offers wonderful moments in its voice / body fusion but struggles to take off, as shown by the abrupt end that comes out of the blue.

Quintett, bonjour tristesse.

Quintett might be William Forsythe’s most beautiful work. It was first performed on 9 October 1993. It was then danced by Frankfurt Ballet at the city’s opera house in Germany. He wrote the masterpiece in tribute to his dying wife. That was nineteen years ago.

Seeing Caelyn Knight, Maeva Lassere, Giacomo Luci, Tyler Galster and Raúl Serrano Núñez dance created the impression that she was there, and with her were all the ghosts carried by each one.

Quintett is obviously a… quintet, you guessed it! But the five react more than they interact. At the beginning, four dancers wait for another to come out of a trapdoor that could well be a tomb.

Gavin Bryars’s iconic Jesus’ Blood Never Failed Me Yet is heard in full, with the lyrics on a 26-minute loop. This voice from the gods seems to trigger pas de deux, leading to endless counterpoints.

Quintett, beyond the emotion it stirs, is the ideal piece to understand Forsythe’s structuralism, where balances combine with imbalances.

It’s a constant flow that fades away when life happens. When the curtain falls, the memories of the bodies remain. Particularly those of the girls, Caelyn Knight and Maeva Lassere, in pink and orange respectively. They shine in impossible lifts that start under the thighs to finish on the ribs, like squabbling children who laugh eventually… but not like they used to.

One Flat Thing, reproduced“, Forsythe on the edge.

So what comes next? Well, a William Forsythe fantasy! We’re as much in Modern Times as in Playtime for this piece. In its case, the title refers to a dozen identical white tables.

Kristina Bentz, Abril Diaz, Merel Van Heeswijk Katrien De Bakker, Elsa Monguillot-De-Mirman, Maeva Lassere, Alvaro Dule, Albert Nikolli Edi Blloshmi, Marco Merenda, Raúl Serrano Núñez, Yan Leiva, Samuel Francis Pereira and Giacomo Luci hurl themselves forwards, in twos, threes, sixes then all together on, under and between the tables. It’s frenzied!

The stylistic composition is flamboyant, and here too structure is king in this more recent piece from 2000. With the apparatus, the dancers can go further, gather speed and prise each other up. All to the sound of heavy metal by Thom Willems.

It’s a total blast. Sixteen whole minutes, with no downtime, entertain as much as they impress.

Once again, the corps of this ballet demonstrates how it excels at contemporary scores that are, in principle, so uncomfortable for classically trained dancers.