Oüm, Fouad Boussouf clôt sa trilogie dans l’énergie & la poésie.

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Par Amelie Blaustein Niddam.

Deux ans après sa création, le fraîchement nommé directeur du Phare – Centre chorégraphique national du Havre Normandie, présente à Paris, au Théâtre Monfort, Oüm, une pièce kinesthésique au flow 100% méditerranéen.

Teaser ici.

© Elian Bachini

Montée en légèreté et …en puissance.

Depuis sa création au festival Les Hivernales à Avignon en 2020 tout et rien n’a changé. Dans une relation rare au rythme, Fouad Boussouf aime donner du temps au temps. Il nous dit qu’il faut idéalement “une année d’exploitation pour qu’un spectacle prenne sa vitesse de croisière”. Cela veut dire qu’il est en permanence au travail. Sa minutie permet de “gagner en fluidité et en gestuelle”. Et tout cela au service d’une écriture qui lui est propre. Lui n’a jamais choisi entre les grammaires orientales, hip-hop et contemporaines. 

Oüm est le troisième volet d’une trilogie sur le monde arabe, commencée en 2013 avec Transe et poursuivie par Näss en 2018. Le point commun entre les trois œuvres est bien évidemment ce lien au monde arabe, mais dans leurs formes elles diffèrent. Cette trilogie est en fait une progression vers un geste de plus en précis, de plus en plus élégant aussi.

Dans les deux premiers volets, l’énergie se mêlait parfois à la colère, encore plus dans Näss au casting 100% masculin. Ce qui rend cette trilogie très cohérente c’est la relation à l’énergie propre au travail de Fouad Boussouf.

Diva et divin.e.s danseur.e.s.

Oüm est un hommage direct à Oum Kalthoum. Plus de 40 ans après sa mort, Oum Kalthoum, de son vrai nom Fatima Ibrahim al-Sayyid al-Beltaguie, reste la plus grande diva égyptienne jamais entendue. La voix profonde et pénétrante de cette chanteuse ne laisse personne indifférent, elle est un flow qui vous envahit exactement comme les corps des interprètes de cette pièce où tout devient Un. La musique, les textes de l’écrivain médiéval Omar Khayyam et la danse font un bloc de beauté. 

Une danseuse de dos, face à un mur de fils, offre une flexibilité d’épaules et de nuque comme si elle était possédée par le poème qui est récité. Ce poème est extrait des Quatrains d’Omar Khayyan qui dit au XIe siècle: « (…) Il vaut mieux pour ce cœur de battre. Et dans les flammes de l’amour de brûler. Quelle perte le jour que je passe sans que je n’aime et sans que je ne m’éprends. Réveille-toi ombre légère voilà le milieu de la nuit. Abandonne le sommeil et fais la cour aux cordes. Le sommeil n’a jamais allongé une vie. Et les longues veillées ne l’ont jamais raccourcies (…) ». Ce dos là devient aussi puissant que toutes les mélopées de la diva égyptienne. Le geste est totalement neuf car il est puissant et doux, en même temps, il garde le désir intact à travers les millénaires.

Aux corps, on retrouve toujours unis Nadim Bahsoun, Sami Blond, Mathieu Bord, Loïc Elice, Filipa Correia Lescuyer et Mwendwa Marchand, et à la musique Mohanad Aljaramani (percussion, oud, chant) et Lucien Zerrad (guitare, oud). Ils et elles sont un seul et même mouvement aux influences hybrides. Nous sommes ébahis par la façon dont les épaules jetées sont le moteur de la nuque et des jambes. La sensation de la chute n’est pas loin, mais les jambes s’arquent pour éviter le drame.

Une fête dorée.

Avec Oüm, Fouad Boussouf ajoute sa pierre très bien taillée à l’édifice des pièces contemporaines reprenant des motifs populaires. ”Le danser pop” que Claudia Palazzolo juge comme une “figure de la création contemporaine” se cale dans des hanches qui montent et des bustes qui vibrent d’avant en arrière. Boussouf convoque des motifs clés de la danse dite orientale. Il puise même dans ces stéréotypes en les déphasant. D’abord parce que ces volutes sont généralement associées à une danse de femme et qu’ici il n’y a pas de genre. Ensuite, en habillant justement les danseur.e.s en costards et en chaussettes ! Et si on a souvent vu les danses de boite de nuit ou de bal être amenées sur les scènes institutionnelles, cela est très rare pour les écritures du mouvement propres au monde Arabe.

Oüm est une chorégraphie merveilleuse, portée par un tempo enivrant. Dans cette société qui est si universelle, les dafs donnent le La d’une danse qui entre en vous pour ne jamais plus en sortir. 

A voir au Montfort Théâtre à Paris, du 29 juin au 1er juillet 2022 à 20h30.