“Capter le mouvement dans l’espace”, Babette Mangolte aux avant-gardes de la danse contemporaine aux Rencontres de la photographie d’Arles.

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Par Amélie Blaustein Niddam.

La danse est reine aux Rencontres d’Arles cette année. En témoigne la très riche exposition “Capter le mouvement” de Babette Mangolte à l’Eglise saint Anne qui nous plonge dans la post-modern dance américaine des années 70. Il s’agit d’une reconnaissance majeure pour le dialogue des arts puisque la photographe a reçu le 5 juillet dernier le prestigieux Prix Women in Motion 2022. 

The place to be.

C’est ce qui s’appelle avoir été au bon endroit au bon moment. Quand elle s’installe à New York dans les années 1970, la scène chorégraphique et performative bouillonne dans la ville. Dans les studios de danse de la grande pomme travaillent Yvonne Rainer, Trisha Brown, Richard Foreman, Lucinda Childs, Simone Forti, Robert Morris, Joan Jonas ou encore, du côté de la performance, Robert Whitman. Et posant son regard sur les répétitions qu’elle préfère aux spectacles, Babette Mangolte shoote les corps qui se penchent en lignes droites chez Lucinda Childs ou qui se relâchent chez Trisha Brown.

Vague de chaleur.

La question que s’est posée la photographe et à laquelle elle répond brillamment est la suivante : comment archiver la performance ?

Par définition, le spectacle vivant est… vivant. Et le voici pris dans ses contractions, capturé dans la pellicule. En posant un œil 100% subjectif sur ses sujets, Babette Mangolte nous accueille dans ces salles où la recherche d’autres gestes, plus ancrés dans le contemporain alors marqué par la Guerre du Viêt-Nam, est en train de naître.

Les photos de Babette Mangolte apparaissent comme classiques. Nous sommes dans une exposition thématisée où les clichés en noir et blanc sont sobrement accrochés sur les murs blanc de l’église. Cela pourrait être sobre mais il n’en est rien. Peut-être est-ce parce que le lieu non climatisé faisait grimper la température en ce jour d’août où nous y étions, mais la sensation était celle d’entrer dans un studio de danse : blanc, zen et chaud. 

Danser au-delà des cadres.

La beauté arrive en perfusion sur chaque image. Il faut voir Merce Cunningham suspendu dans son pas sur le plateau de la Cour d’honneur en 1977, en pleine répétition de Events. Et quelle émotion de savoir qu’elle était là encore à la création d’Einstein on the beach, toujours à Avignon, en 1976. On le comprend alors, Babette Mangolte a fait des aller-retour entre son pays natal, la France où elle a vu le jour en 1941 et sa terre d’adoption, New-York. Elle a pu photographier le Festival d’Avignon à l’un de ses moments les plus foisonnants, quand la danse était reconnue comme art vivant à égalité avec le théâtre. Einstein on the beach marquant au fer rouge ce dialogue puisque la pièce est autant un opéra (de Philip Glass), un ballet (de Lucinda Childs) et du théâtre (de Bob Wilson). 

“Babette Mangolte, capter le mouvement dans l’espace”, rassemble un corpus fou sur les contextes de création. La scène des années 70 déborde de sujets politiques et esthétiques tout comme nos scènes actuelles. Les sujets ne sont pas différents. Il est question de redéfinir encore et toujours le mouvement, son lien à la musique et aux corps que l’on dépouille d’artifices.

Cela, on le comprend particulièrement bien en regardant de près les photographies du fondateur du théâtre ontologique-hystérique, Richard Foreman, où l’on sent que les protagonistes hurlent sur scène, dévêtus et possédés. On se marre devant les très très grosses mains de Sylvia Palacios Whitman. Elle apparaît seule les doigts augmentés de gants sur-dimensionnés. Le titre, Passing Through “Green Hands”, Sonnabend Gallery nous donne une indication sérieuse sur la couleur de ces excroissances. 

Le mouvement, on le comprend bien, capturé par l’œil de Babette Mangolte est devenu dans cette ville-là et dans ces années-là une mutation. Le mouvement pour le dire autrement s’est lui-même mis en mouvement.

L’exposition prouve bien que les arts dialoguent depuis bien longtemps, que la danse et le théâtre ne sont pas des sphères séparées. 

Comme un point final, le parcours bien défini de l’Eglise nous entraîne dans une petite salle de projection où est diffusé le film si célèbre de Trisha Brown, Watermotor. Ce que nous ne savions pas, c’est qu’il est signé de Babette Mangolte. C’est elle qui a capté les hanches qui fondent dans les jambes de la chorégraphe américaine, cet iconique “release” que la danseuse a élaboré et transmis dans toutes ses œuvres. Il est là, simple et doux sur cet écran. 

Trisha Brown in “Watermotor”, by Babette Mangolte (1978).

A voir jusqu’au 25 septembre 2022. De 10 heures à 19 heures 30.