English bellow.
Par Amélie Blaustein-Niddam.
De Margaret Thatcher à Liz Truss, une masse de “blue-dy sundays”.
Ils et elles se tiennent debout, tous en bleu de travail. Ils sont devant toutes les usines en grève du nord au sud du Royaume Unis. Cela fait longtemps qu’Oona lutte. Le public français l’avait découverte en 2017. Elle offrait alors un solo de huit minutes qui avait pris pour le public une allure d’uppercut. Lazarus and the Birds of Paradise résumait l’Irlande du nord dans une rixe qui débordait des cadres de la danse. Il en va de même pour son Navy Blue créé cette année au Tanz im August/HAU Hebbel am Ufer. La danse d’Oona ne choisit pas entre la figuration et l’abstraction, elle est caméléon et emprunte autant au classique, qu’au hip-hop, au contemporain et au voguing. C’est une écriture puzzle dont elle seule à les clés et qui lui ressemble en tous points. Le groupe fait bloc dans une totale diversité. Grands, petits, vieux et jeunes, il est LE peuple uni dans l’espoir de n’être jamais vaincu. Et pour symboliser ce combat souvent perdu, la chorégraphe a une idée de génie : les faire danser sur le concerto pour piano n°2 de Rachmaninov. C’est-à-dire de la musique de riches, de blancs, de bourgeois. Et que font-ils ? Ils essaient de rentrer dans le moule pour que leur discours soit entendu, pour que leurs revendications soient acceptées. Leur danse est bancale, imprécise. Au début, on les pense même amateurs, pas à leur place. Il n’en est rien, bien évidemment. Le patronat n’est pas dupe, le peuple est massacré.
Rébellion.
Mais si le peuple est laminé, c’est pour que les générations futures puissent vivre libres. Les projections comme des vagues de Nadir Bouassria envahissent le sol d’une mer bleue. Le bleu, c’est bien sûr le sang du roi, le sang pur. Et pour Oona, la pureté ne se place que parmis les travailleurs et les travailleuses. Ils et elles sont éternel.le.s. Les interprètes se mettent à danser “pour de vrai”. Les corps fléchissent, courent, se tirent. Les genoux cherchent l’arrière, les épaules sont entraînées. Les mouvements sont fluides et intimes, ils n’en sont pas moins engagés et violents. Pendant tout un temps, on entend Oona Doherty lire un texte, qui est d’ailleurs distribué à la salle en anglais et en français. Elle dit, notamment :
“ …
Est-ce que nous flottons ? Ou est-ce que nous tombons? Peut-on dire qu’une chose tombe si elle ne touche jamais le sol ? A moins que tout ne tombe. Et moi, je tombe là ?
Je suis celle en bleu
A côté de l’autre en bleu.
A côté de l’autre en bleu.
Une si petite chose, presque rien, au milieu de l’obscurité, au milieu de tout cet espace.
Au milieu de ce qu’on appelle Le Reste.
Une petite chose insignifiante sur une petite chose insignifiante. Un point bleu pâle sur un point bleu pâle. Mais regardez encore.
Un microcosme de chaque personne que vous aimez, que vous connaissez, chaque être humain ayant jamais existé.
Il y a tout un univers dans cette danseuse.
Quand elle lève la main, ce n’est pas sa main qu’elle lève. Ce sont toutes les mains qui se lèvent. Quand tourne la tête, ce n’est pas sa tête qu’il tourne, tout le monde tourne la tête, je tourne la tête, j’ai la tête tournée.
Comme le monde qui tourne sur son axe.
Il tourne encore et encore pour finir là où nous avons commencé.
Nous tombons.
….
Navy Blue est une pièce majeure à plusieurs endroits. D’abord parce que la lutte des classes n’est pas un sujet classique des scènes publiques. Ensuite parce que cette danseuse prouve qu’il est possible de transmettre “sa” danse aux autres tout en les écoutant. En regardant la pièce, il n’y a aucun doute sur le fait que chaque mouvement a été amené avec l’interprète dans le plus grand respect de son corps : son outil de travail.
Informations pratiques.
Au Théâtre national de Chaillot jusqu’au 1er octobre. Le samedi à 17h. Le vendredi et le mercredi à 19H30, le jeudi à 19H30. Réservations ici.
Photographie © Ghislain Mirat.
Navy Blue: Oona Doherty’s class war.
From Margaret Thatcher to Liz Truss, a mass of ‘blue-dy Sundays’.
And rise up they do, in their matching blue overalls, outside striking factories the length and breadth of the UK. Oona has been fighting for a long time. France discovered her in 2017 when she performed an eight-minute solo that hit the audience like an uppercut. Lazarus and the Birds of Paradise placed Northern Ireland in a slugfest that transcended the confines of dance. The same could be said about her Navy Blue, which premiered at this year’s Tanz im August/HAU Hebbel am Ufer. Oona’s dance doesn’t choose between figuration and abstraction: it’s chameleon-like and borrows equally from classical, hip-hop, contemporary and voguing. The choreography is a puzzle that only she can decipher and which mirrors her in all aspects. The group stands together in their diversity. Large, small, old and young, the workers unite in the hope of never being beaten. To symbolize that often-helpless struggle, the choreographer has an incredible idea: having them dance to Rachmaninov’s Piano Concerto No. 2. Meaning the music of the rich, white and bourgeois. And what do they do? They try to fit the mould to have their message heard and demands accepted. Their dance is shaky, imprecise. At first, they even look like amateurs, out of place. They’re nothing of the sort, of course. The capitalists aren’t stupid: the workers are massacred.
Rebellion.
But the workers are annihilated so that future generations can be free. Projections like Nadir Bouassria’s waves fill the floor with sea blue. The blue is of course the king’s blood, pure blood. And for Oona, purity can only be found amongst the workers. They’re eternal. The performers start to dance ‘for real’. Bodies bend, run and stretch. Knees pull back, shoulders draw in. The movements are fluid and intimate but no less engaged and violent. For a moment, we hear Oona Doherty read a text, which is also provided in the venue in English and French. She says, notably:
“…
Are we floating? Or are we falling? Can a thing be falling if it never hits the ground? Unless everything’s falling. Am I falling?
I’m the one in blue.
Next to the one in blue.
Next to the one in blue.
Such a small thing, almost nothing, surrounded by darkness, surrounded by all that space.
Surrounded by what’s called Everything Else.
A small, insignificant thing on a small, insignificant thing. A pale blue dot on a pale blue dot. But look again.
There’s a whole world in that dancer.
A microcosm of everyone you love, everyone you know, every human being who ever was.
When she raises her hand, it’s not her hand rising. All the hands rising. When he turns his head, it’s not his head turning, all the heads turning, my heads turning, my heads turned.
Like the world spins on its axis
Round and around and around to end up where we started.
Falling.
….”
Navy Blue is a major piece in several regards. First because class conflict isn’t typical fare for public stages. Secondly because the choreographer proves that it’s possible to share ‘her’ dance with others whilst listening to them. When watching the piece, there’s no doubt that every movement is given to the performers with the greatest respect for their body: their working tool.