L’histoire de cette création de la plus grande chorégraphe contemporaine tient du film d’action ! Entre annulations pour cause de Covid et grèves, cette nouvelle articulation entre geste et notes trace sa route sur un chemin pavé d’épines !
From London to Paris, with a lot of roses!
Dans notre mésaventure, tout commence à Londres lors du Festival Dance Reflections by Van Cleef & Arpels. La pièce doit jouer le 12 et 13 avril 2022 à Sadler’s Wells 2022. La veille de la Première, la chorégraphe annonce que des raisons techniques lui intiment l’ordre de repousser. Nous, nous quittons Londres sans avoir pu voir cette alléchante création d’Anne Teresa De Keersmaeker, Mystery Sonatas / for Rosa, cette “recherche chorégraphique sur le secret et le mystère des roses qui se déploie/déroule sur la partition symphonique de Heinric Ignaz Franz Bieber”. Les échos sont merveilleux, la première s’est tenue à Bruges, en Belgique, le 16 février 2022.
La création ouvrant des perspectives singulières du corps, de l’espace et du temps sera présentée également à Montpellier Danse. Joie ! Oui… mais… Le spectacle, initialement prévu les mercredi 29, jeudi 30 juin et vendredi 1er juillet à 21h à l’Opéra Comédie, est malheureusement annulé, la compagnie étant frappée par l’épidémie de Covid-19. Il faudra attendre novembre pour que les 8 et 9, La Maison de la Danse de Lyon montre enfin la pièce, mais dans une version de musique enregistrée.
La vraie première française, avec orchestre, a pu avoir lieu le 22 mars au Châtelet, mais là , c’est la colère face au mépris du Président de la République qui a eu raison des équipes. Le jeudi 23, la pièce est de nouveau annulée et nous, une nouvelle fois, nous ratons le coche !
Se souvenir, qu’une rose, c’est fragile.
Alors, le 8 novembre 2022, à la Maison de la Danse de Lyon, nous avons vu et adoré cette pièce, longue pour une œuvre chorégraphique, puisqu’elle dure 2 h 15. On vous en parle ?
Et bien, elle s’inscrit de façon clinique dans l’écriture que la chorégraphe a mise en place en 1982. Une danse mathématique, faite de cercles et de mouvements suspendus et déphasés. Elle compte sa dose de spirales qui vous ensorcellent et des courses renversées. La musique est toujours incarnée par la danse, jamais comme une illustration, mais comme une fusion. La musique est la danse, la note est le geste.
Ici, la partition est aride. Les sonates de Heinrich Ignaz Franz von Biber composées en 1676 sont un triomphe de la musique baroque. Ces quinze sonates retracent “les mystères sacrés de la vie de Marie et Jésus”. Évidemment, cela n’est pas le sujet. Non, le sujet, c’est la complexité musicale de la partition qui oblige les danseurs et les danseuses à tordre le rythme, à suspendre le mouvement, à s’arrêter net quand il le faut.
Mystery Sonatas / for Rosa est une grande pièce de cette grande chorégraphe. C’est aussi beau que c’est exigeant. Les solos sont à couper le souffle de beauté. Chaque interprète offre sa version de son morceau. Tous et toutes jouent le jeu de l’incarnation du son, mais le résultat est toujours différent. Lav Crncevic, José Paulo dos Santos, Rafa Galdino, Franck Gizycki, Mariana Miranda, Mamadou Wagué sont justes dans cette danse qui demande aux corps de s’écouter les uns les autres pour dissoner avec élégance.
Mais les roses ne sont pas éternelles. Pour symboliser cette mort, Mariana Miranda presque de dos, relâche le souffle dans un relase qui part de la hanche, comme chez Trisha Brown. Les boucles se bouclent, Anne Teresa assume ses références et livre un spectacle qui ébloui autant qu’il pique.
À voir les 24 et 25 mars au Théâtre du Châtelet. À noter que ces dates étaient la dernière de ce spectacle rare par son contexte de création autant que son existence.
Réservations : ici.
Anne Teresa de Keersmaeker dansera elle-même Les Variations Goldberg à la Mc93, dans le cadre d’une programmation Hors les Murs du Théâtre National de Chaillot, du 6 au 9 avril.
Visuel : Rosa @ Anne Van Aerschot.