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Par Amélie Blaustein-Niddam.
Une création pour le ballet de l’Opéra National de Paris est toujours un événement. En cela, il faut accueillir Pit comme une volonté d’ouverture vers d’autres formes de spectacles. Malheureusement, ce travail est plus alléchant sur le papier que sa réalisation, bien éloignée de l’exigence habituelle de la Maison.
Bobbi Jene Smith et Or Schraiber sont deux anciens danseurs de la Batsheva et l’influence de leur maître, Ohad Naharin se ressent dès la première minute. On retrouve Clémence Gross, Caroline Osmont, Juliette Hilaire, Laurène Lévy, Marion Gautier de Charnacé, Awa Joannais, Héloïse Jocqueviel Alexandre Gasse, Jack Gasztowtt, Axel Ibot, Yvon Demol, Mickaël Lafon, Maxime Thomas, Hugo Vigliotti, Takeru Coste, Théo Ghilbert, Julien Guillemard, Loup Marcault-Derouard et Antonin Monié assis de dos sur des chaises, regardant une scène surélevée sur laquelle ils et elles tarderont à se projeter.
Pit est l’incarnation d’une partition musicale démente. Le Concerto pour Violon de Jean Sibelius, augmentée d’une création de Céleste Oram. Bobbi Jene Smith en parle comme “d’une bête sauvage”. L’allégorie est très juste, les premiers mouvements sont sombres et vont progresser vers une explosion aux allures de chants russes, dans un adagio di molto qui monte haut, très haut.
Le ballet, qui tient plus de la proposition théâtrale, vient illustrer cette musique. Nous sommes face à un monde d’après. On essaie encore d’avoir du désir, de jouer avec les codes fetish sur talons de 12 cm, de danser des slows… Mais cela ne marche pas, il y a de la violence partout. Les êtres n’arrivent pas à être ensemble. Bobbi Jene Smith écrit et cela nous apparait comme un parfait résumé de la pièce :
“Retrouvez-moi dans cet endroit : Des gens attendent, recroquevillés. Une arrivée que personne ne salue. Inconscients, insouciants, des amoureux passent. Des anges vident les poches d’un violoniste. Une femme en rouge. Un monticule de saletés. Tout le monde se bat pour un peu de Terre. Qui prend les décisions ? Qui établit les règles ?”.
Le problème est l’illustration. Les danseurs et les danseuses sont peu utilisé.es. Ils et elles sont au bord du mime pour nous dire l’amour et la violence dans un manichéisme qui ennui.
Mais l’Opéra reste l’Opéra et ces sujets et quadrilles sont les meilleurs du monde. Ils et elles excellent dans les moments chorales, même s’ils n’ont rien d’original, c’est du copié-collé Batsheva. Ces temps collectifs permettent de déployer leur puissance.
En fluidité et en ouverture, Axel Ibot et Awa Joannais se démarquent particulièrement.
Pit ne parvient pas à se mettre à hauteur de Sibelius. La vraie star de la soirée, c’est le premier violon, époustouflant de justesse et précision, Petteri Livonen, qui passe d’ailleurs une grande partie du spectacle sur scène, jouant un musicien des rues.
L’intention de de Bobbi Jene Smith et Or Schraiber est très claire, il faut saluer cela. Le duo veut danser le désespoir, les petits arrangements, la misère sociale humaine. Mais la traduction de leurs volontés ne prend pas. La pièce traine, les images incompréhensibles ne créent pas le chaos désiré. Si Pit veut dire fosse en anglais, cela apparaît comme un mauvais présage, car effectivement, ce ballet ne décolle pas du sol en multipliant les collages de motifs. Les solos comme les scènes de groupe semblent à chaque fois arriver sans raison, ni chorégraphiques ni dramaturgiques.
On pense beaucoup trop aux pères et mères de la danse et de la danse-théâtre. Il y a du Pina dans l’esthétique chic et dans des “farandoles” désespérées (ici à quatre pattes) et du Forsythe dans l’envie de tourbillon. Pit se perd, tombe dans sa propre fosse. Dire l’époque n’est pas si facile et ce n’est certainement pas en mixant des références chorégraphiques propres au XXe siècle que cette danse du XXIe trouvera son chemin de création.
Pit, Première le 17 mars à l’Opéra National de Paris. Jusqu’au 30 mars 2023.
Photo : © Yonathan Kellerman / OnP.
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