Dancing Pina : la transmission comme sacre.

English not available.

Par Amélie Blaustein-Niddam.

Le réalisateur Florian Heinzen-Ziob nous plonge au plus près de l’essence du geste de Pina Bausch en suivant deux productions : l’une au Semperoper en Allemagne en 2019 avec le corps de ballet et l’autre à l’École des Sables du Sénégal avec des danseurs de tous les pays d’Afrique, en 2020. La leçon ? La danse de Pina est universelle et surtout, elle peut lui survivre.

“Ce n’est ni classique ni contemporain, on cherche qui on est en tant qu’humain”.

Comment transmettre la danse après la disparition d’un chorégraphe est une immense question. Quand la chorégraphe est Pina Bausch, disparue en un éclair, en 2009, à la suite d’un cancer diagnostiqué une semaine avant, cette immense question prend des allures de sacrilège.

Comment danser Pina sans Pina ?

Au moment où Florian Heinzen-Ziob filme son documentaire, la compagnie fait uniquement vivre le répertoire de l’icône. Boris Charmatz n’est pas encore le nouveau directeur de la Wuppertal et l’idée que des créations naîtront après Pina est encore fragile.
En revanche, il arrive que la compagnie transmette des œuvres. Le Sacre du printemps est entré au répertoire de l’Opéra de Paris en 1997. Ici, c’est différent.

Florian Heinzen-Ziob a mêlé deux transmissions très particulières : Le sacre du printemps à l’École des sables, fondée par Germaine Acogny, et Iphigénie en Tauride  au ballet de l’Opéra Semper.

“On s’exprime en mouvement”.

Les deux tournages se sont déroulés à un an d’écart, un an qui compte double. En 2019, les spectacles jouent dans le monde entier, en 2020,ils sont arrêtés. On le sent dès que les dates apparaissent en incipit du film, cela aura des conséquences. Et effectivement, Iphigénie en Tauride a été dansé, et Le sacre ne l’a pas été, en voilà un sacrifice !

Le réalisateur mixe les deux créations afin de montrer l’universalité du métier de danseur et danseuse. À Dakar comme à Dresde, les danseurs et danseuses se cognent à la liberté de Pina. Sa danse fluide, sa danse-théâtre nécessite d’accéder à l’intime de l’interprète. Les corps comptent, la danse est dans un sens, technique. Mais ce n’est pas l’essentiel.

“Être imparfait, c’est parfait”.

Du côté africain, le casting a rassemblé des interprètes venus de tous les pays du continent. Ils et elles ont des formations diverses et ils et elles se posent la question de la légitimité. “Vous pensez que nous pouvons y arriver ?”, demande un danseur à Josephine Ann Endicott et
Jorge Puerta Armenta qui sont leur “transmetteurs”. Pour le corps de ballet, il faut se libérer des carcans classiques, s’autoriser à “être imparfait”. C’est extrêmement difficile pour des danseurs et danseuses imprégné.es de la structure académique.
Pina n’a pas écrit, ce sont les vidéos et les souvenirs des interprètes qui sont les seuls véhicules de transmission. Nous suivons donc la création se faire sous les directions sensibles de Malou Airaudo, Clémentine Deluy et Dominique Mercy du côté de l’Opéra et donc de Josephine Ann Endicott et Jorge Puerta Armenta à Dakar. Tous les cinq ont dansé dans ces spectacles, certains à la fondation de la compagnie, d’autres plus tard. Ils et elles sont des figures tutélaires de Wuppertal, heureuses et heureux de pouvoir transmettre l’héritage.

La caméra de Florian Heinzen-Ziob est proche de la chair. La sueur est palpable. En filmant au plus près les corps, il montre l’exigence de cette écriture. Quand il dézoome, la danse devient évidente, légère et urgente.

Dancing Pina n’est pas un film de plus sur Pina Bausch, qui, rappelons-le, est la seule chorégraphe à avoir fait l’objet de tant de documentaires et films (Un jour Pina a demandé de Chantal Akerman en 1983, Les Rêves dansants. Sur les pas de Pina Bausch (Tanzträume) d’Anne Linsel et Rainer Hoffmann en 2010, Pina de Wim Wenders en 2011….). Ce documentaire nous fait entrer dans les processus d’apprentissage d’une danse où ce que l’on pense se voit. Ce ne sont pas que des pas qui se succèdent, c’est une pensée à transmettre, une façon d’être au monde. La langue de Pina est vivante et elle le sera toujours.

Dancing Pina. un film de Florian Heinzen-Ziob. Production : 2021 ; Documentaire. En salle : 12 avril 2023; 1 h 52 mn.

Visuel : Affiche.