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Par Maria Sidelnikova.
Après la première mondiale à Londres en 2021, The Dante Project chorégraphié par Wayne McGregor a fait son entrée très attendue au répertoire de l’Opéra de Paris. L’ampleur de ce ballet librement inspiré de La Divine Comédie impressionne, sa réalisation un peu moins.
La force artistique.
Une création d’une telle envergure n’a pas vu le jour depuis longtemps dans le monde du ballet. Né entre Los Angeles, Londres et Paris, The Dante Project est passé par tous les cercles de l’enfer pandémique avant sa première. La mécanique complexe du projet a été lancée par le compositeur britannique Thomas Adès. Sa partition intense, imprégnée par l’influence de Franz Liszt, s’épanouira sûrement en dehors du ballet. Mais à l’Opéra Garnier, le compositeur, qui dirigeait lui-même, a fait résonner toutes les nuances de son œuvre sans dominer. L’artiste Tacita Dean, chercheuse fine du temps perdu dans l’art contemporain est un autre pilier de la création. Elle a signé la scénographie et les costumes. Nous reconnaissons immédiatement ses paysages monochromes poétiques, ici inversés, car nous sommes en Enfer. Les décors s’éclaircissent progressivement. Au Purgatoire avec la floraison violette du jacaranda, son arbre fétiche. L’ajout d’un filtre négatif noie les couleurs apportant un sentiment d’intemporalité figée. Le Paradis est quant à lui rythmé par une projection animée de rond colorés se transformant sans cesse, filmés à l’ancienne sur du 35mm. A notre époque technologique l’artiste britannique tient à l’artisanal, aux choses qui pourraient disparaître. C’était donc à Wayne McGregor de réunir toutes ces forces artistiques ensemble sous le titre de La Divine Comédie de Dante Alighieri, pour le 700-ème anniversaire de la morte du poète.
Dante comme prétexte.
Laissant de côté la narration, le chorégraphe garde la structure en trilogie de l’original, correspondant aux trois actes du ballet avec un libretto réécrit à grands traits par Uzma Hameed. Dante (Germain Louvet), guidé par son maitre Virgile (Irek Moukhamedov, maitre de ballet de l’Opéra), traverse l’Enfer qui lui prépare toute une série de rencontre avec des âmes damnées, jusqu’à Satan en personne (Valentine Colasante). Un fin jet de lumière annonce le Purgatoire, où les retrouvailles de sa muse Beatrice (Hannah O’Neil) attendent le poète. Une réunion orchestrée par Virgile, mêlée à des souvenirs d’enfance et d’adolescence. Pour le final, Dante se laisse guider sur le chemin de la grâce céleste et envoûtante du Paradis, en compagnie de sa bien-aimée.
McGregor tourne en rond.
Chorégraphe résident du Royal Opéra, Wayne McGregor a créé The Dante Project pour Edward Watson, son danseur préféré depuis une vingtaines d’années. Watson y a fait ses adieux à la scène, mettant dans ce ballet tout le bagage de mémoire corporelle et personnelle. Ce voyage de Dante est devenu le sien, apportant de bonnes critiques à la production. À l’Opéra de Paris, le rôle-titre dans la première distribution revient à Germain Louvet, sans doute le danseur Etoile le plus beau de la jeune génération, avec des lignes parfaites et des mouvements sans faille. Mais, dans cette histoire sans narration et pleine de lacunes de McGregor, le danseur semble parfois perdu.
Wayne McGregor chorégraphie comme il parle, cent mots à la minute. Il y a un peu de tout dans ce discours : le vocabulaire académique du ballet classique ; des néologisme complexes (comme les pirouettes ou fouettés bras tendus en bas, sans aucune force) et des interjections émotionnelles propres au chorégraphe (comme ses fameux piqués, des plongeons inattendus de la tête ou du corps entier). Ces combinaisons rapides et techniquement complexes qui semblent faire la course avec la musique parviennent à particulièrement bien mettre en mouvement les nouvelles Etoiles Marc Moreau et Guillaume Diop. Les premières danseuses Silvia Saint-Martin et Bleuenn Battistoni se distinguent également par leur style singulier dans cette chorégraphie.
Plus à l’aise avec le corps de ballet et les duos de confrontation masculin, Wayne McGregor semble moins armé face à l’amour. Après l’intensité des divertissements de l’Enfer, certes répétitifs, que l’on peut justifier par la nature cyclique des cercles de Dante, le lyrisme un peu fade du Purgatoire laisse perplexe. Une palette de souvenirs lointains reprend vie devant les yeux du poète – un couple d’enfants qui rajoute une note de tendresse suivi de Dante jeune (Loup Marcault-Derouard) et sa Beatrice (Bleuenn Battistoni) qui changent l’esprit, mais de beaux adagios manquent encore au rendez-vous. Et enfin le Paradis, où les rondes de corps célestes rattrapées par la musique et la lumière douce offrent une harmonie envoutante.
Photographie par Ann Ray.